Un édifice d'exception
Plan de situation.
Déjà au Moyen Âge la construction d’une église, même modeste, faisait l’objet d’une attention toute particulière et était appréhendée par des professionnels qualifiés et réputés ; car la technique constructive romane était employée, plus avec des pratiques judicieuses d’usage régional, qu’avec des approches théoriques de construction.
Par ailleurs, les ordres religieux, grands constructeurs de l’époque profitaient des nouvelles influences techniques constructives et stylistiques du moment pour actualiser leurs bâtiments monacaux dont l’église était la partie la plus élaborée et visible par tous.
C’est ainsi que notre église de Solliès-Ville telle que nous la voyons actuellement a été construite par l’ordre des dominicains avec les singularités et les spécificités remarquables suivantes :
I/ ÉGLISE À DEUX NEFS
L’édifice se compose de deux nefs parallèles d’égale largeur comprenant trois travées chacune, dont l’ensemble s’inscrit dans deux carrés égaux.
Ces deux nefs sont couvertes en voûtement quadripartite dit « voûte de cloître » supporté chacun par deux arcs diagonaux plein cintre, dont la hauteur des clefs de voûte correspond à la même dimension que l’un des deux carrés qui contient la nef.
La longueur de la nef est exactement le double de la hauteur. Autrement dit :
l'église est aussi large que haute !
— b des arcs diagonaux plein cintre disposés en voûte de cloître sur chacune des trois travées ;
— c des arcs brisés doubleaux séparant les deux nefs parallèles.
— b la faculté pour l’arc brisé de moins pousser sur les appuis.
En effet, cette voûte de cloître, surprend dans cet édifice roman, où la voûte en berceau plein cintre couvrait les nefs, à la place des plafonds en charpente bois trop vulnérable aux incendies !
Mais il est troublant de constater que les appuis des arcatures diagonales des trois voûtes de cloître reposent sur des corbeaux en forme de culots enchâssés en discontinuité avec les redans des piliers porteurs. Il semble bien que cette technique de la voûte de cloître inventée au milieu du XIIe siècle en Île-de-France fût importée au cours de la construction du couvert de l’église Saint-Michel, d’où le recours aux corbeaux à demi encastrés qui ont été greffés sur les colonnes. En effet, cette technique de croisée d’ogives est bien celle apportée par le gothique naissant dans le Nord de la France.
II/ TRACÉS RÉGULATEURS
La comfiguration de l’édifice n'est pas due au hasard, bien au contraire, elle résulte des fameux tracés régulateurs du Timée de Platon qui met en exergue le nombre d’or ou la « divine proportion » soit : 1,618 (rapport conceptuel divin par excellence).
En plus des piliers, les éléments architecturaux de l’église, tels que les oculi, les baies verticales, le portail et les nefs, sont calés sur un module commun, la « canne » (soit 1,98 m, dimension de référence commune) qui correspond au diamètre des piliers.
Comme on la déjà dit précédemment, cette modulation se vérifie dans les trois dimensions, en plan, en coupe, et en élévation !
Le module est une grandeur quelconque
choisie pour servir de base aux mesures de la distribution d’un bâtiment
DIMENSIONS DE L'ÉGLISE : | EN MÈTRE | EN MESURE ANCIENNE |
Longueur de nef : | 22,76 m | 13 modules 1/2 ou 13 cannes 1/2 |
Largeur de l’église : | 11,38 m | 1/2 longueur de l’église |
Hauteur de la nef : | 11,80 m | 7 modules ou 7 cannes |
Largeur de pilier : | 1,68 m | 1 module ou 1 canne |
Oculus et cintre des baies : | 0,84 m | 1/2 module ou 1/2 canne |
Grand oculus sud : | 2,10 m | 1 module 1/4 ou 1 canne 1/4 |
Distance latérale entre piliers : | 4,42 m | 2 modules 1/2 |
Distance longitudinale entre piliers : | 5,90 m | 3 modules 1/2 |
En cette fin du XIIe siècle, on sait que l’influence gothique parvint tardivement en Provence, mais pourquoi avoir réalisé une église à deux nefs égales, disposition rarissime en France, puisqu’il n’existe que trois autres églises semblables en France ?
(L'église des Jacobins de Toulouse [1230-1335], d’Agen [1249], et de Paris [1221, détruite en 1849], et aussi la chapelle Sainte-Philomène à Puget-Ville du Var [1060, encore existante]).
Plan du couvent des Jacobins de la rue Saint-Jacques à Paris, église à deux nefs.
(Bâtiments démolis en 1849.)
La raison de cette disposition parallèle des deux nefs semble simplement destinée à faciliter la pratique alternée de deux offices différents sans empiéter sur l’autre, à savoir la liturgique des laïques et celle des frères prêcheurs dominicains appelés aussi jacobin) fortement ancrés à Solliès-Ville à cette époque.
En pratique, une simple séparation médiane en panneaux de bois fixés entre les piliers était installée pour isoler chaque nef. Deux niches murales dites « sacrères », fermées par deux volets en bois, subsistent toujours à l’extrémité est de chaque nef, pour ranger les objets liturgiques des différents offices à côté de chacun des deux autels.
De plus, un accès différencié facilitait l’indépendance des deux nefs qui sont toujours visibles à l’extrémité ouest de l’église.
Coupe transversale.
Deux nefs égales à trois travées en croisée d’ogives.
Dessin 3D Ch. Torcheux.
III/ LA COUVERTURE PROTECTRICE
Le voûtement intérieur de la nef a remplacé les charpentes en bois apparentes vulnérables aux incendies.
Ici à Solliès-Ville, l’église se trouvait être implantée dans l’enceinte fortifiée du château des Forbins, trop proche des fortifications pour ne pas craindre les assauts des jets d’objets enflammés projetés par les assaillants (nombreux à cette époque)
Une protection de la toiture contre l’incendie s’imposait.
C’est pourquoi, la charpente en bois traditionnelle de la toiture fut remplacée par un voûtement reposant sur les « reins des croisées d’ogives » qui recevait uniquement le littelage des tuiles « canal », moins vulnérable au feu que la forêt de chevrons et pannes des charpentes habituelles.
Cette disposition technique particulière est exceptionnellement mise en œuvre parce qu’elle oblige à renforcer les structures d’appui des voûtements de la Nef qui se trouvent alourdis. Or on constate ici, que quelque soit le voûtement retenu : le berceau plein cintre ou la croisée d’ogives, les pilastres et piliers ont été construits avec une configuration résistante et massive en forme de croix. Comparé aux colonnes cylindriques graciles de l’église de Toulouse érigée à la même époque.
IV/ LA FACTURE DU GROS ŒUVRE
Le caractère apparent de l’édifice tient essentiellement de la remarquable facture des pierres de taille et de l’économie des modénatures décoratives de tout l’édifice tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.
Construite avec des murs d’assises régulières avec boutisses en pavement de calcaire blond et gris hourdés d’un fin lit de mortier, son aspect parait même un peu austère, mais non hostile.
Seuls les quelques hautes fenêtres cintrées, des oculi insérés dans des tableaux biseautés et un grand portail avec triples voussures décorent l’édifice.
À l’intérieur ce sont les deux gros piliers cruciformes et les six croisées d’ogives qui attirent le regard.
Le pignon est percé de deux hautes baies et de deux oculi.
L’appareillage des pierres du soubassement est le vestige
d’une construction antérieure à la construction de l’église.
Façade sud percée de deux hautes baies, un oculus et un grand portail voussuré. L’appareillage des pierres situé au-dessus du portail est dû à une restauration récente.
Travée sud de l’église avec deux croisées d’ogives visibles.
V/ SAINT LOUIS
Le dernier point remarquable concernant cet édifice est historique ; celui du passage du monarque Louis IX dit Saint Louis sur le site de l’église Saint-Michel, au retour de la 6e croisade en juillet 1254.
ÉTUDE PATRIMONIALE
de Marie-Georges TOMASINI,
Formation universitaire en patrimoine PACA
et
Christian TORCHEUX,
architecte honoraire.
GIMPEL Jean, Les bâtisseurs de cathédrales, Seuil, Paris, 1958, collection Microcosme, 1966 ;
MAUREL Paul, Le vieux solliès et ses monuments religieux, Imp. Nouvelle, Toulon, 1959 ;