La source Nègre

La  source  Nègre

Par M. ARÈNE Casimir,
Ancien Avocat, Propriétaire aux terroirs de Solliès-Pont et Solliès-Ville, et ancien Président de la Commission des eaux de Solliès-Pont.
1872, Toulon, Imprimerie & Lithographie F. ROBERT, boulevard de Strasbourg, 56

Source Nègre, Solliès-Pont

Canal des Reynauds et des Aiguiers, canal de la Ferrage, canal du barrage de Seyrol et projet de réfection des conduites pour l'alimentation des fontaines de la ville de Solliès-Pont. Plan dressé par M. DYRION, ingénieur aux Ponts et Chaussées, arrondissement de Toulon, le 22 novembre 1878. (Échelle 1/2000e)

Source Nègre, détail 1

(Détail 1.)

Source Nègre, détail 2 800x607

(Détail 2.)

Source Nègre, détail 3

(Détail 3.)

 Nous vous proposons un point technique sur les objets présentés
lors de l’exposition « EAU 2015 »

POTERIES

Mode d’alimentation et distribution en eau potable dans la commune.

En 1846 recherche d’eau.
Pose d’une nouvelle conduite en 1850.
Projet d’alimentation en 1874.
Prolongement des galeries en 1876.
En 1879 réfection des conduites.
En 1882 nouvelles recherches d’eau (captation).
En 1891 réfection des anciennes conduites
et en 1892 réfection des nouvelles conduites.

La vieille source prend son origine sur les bords du Gapeau à 850 mètres environ de distance de l’agglomération. Située près de l’écluse des « Messieurs » sur le Gapeau, dont les eaux sont polluées, par les divers usages domestiques, agricoles ou industriels qu’en font les riverains et fait craindre que la « Vieille Source » ne soit contaminée par les infiltrations.
La canalisation du Vallon de Vallauris à Solliès-Toucas, remonte en 1849 et à son origine dans le lit même du vallon de Vallauris à 1900 mètres de distance de la ville. La qualité de ces eaux est inférieure à celle des eaux de la « Vieille Source ».
Le débit actuel des deux sources est de 600 m3 par jour. Pendant les périodes sèches, le débit de la source du Vallon de Vallauris est presque nul. Pour que l’agglomération soit desservie d’une façon normale il faudrait un débit de 780 m3 par jour (260 litres/jour X 3000 habitants).
La canalisation dite de la « Vieille Source » est formée de tuyaux en poterie ou en fonte, suivant que la conduite est placée en galerie ou en tranchée.
La canalisation d’une galerie de captage dite le « Vallon de Vallauris » est faite en maçonnerie à pierres sèches et d’une conduite d’amenée en tuyau de poterie. Postérieurement à l’exécution première on a substitué sur une certaine partie de son parcours la fonte à la poterie.
La dépense effectuée jusqu'à ce jour s’élève à la somme de 119 597 francs. Mais aucune analyse de l’eau n’a été faite.

AD 83, Solliès-Pont, février 1903.

Source Nègre, poterie, figure 1a

(Fig. : 1a.)

Source Nègre, poterie, figure 1b

(Fig. : 1b.)

Source Nègre, poterie, figure 1c

(Fig. : 1c.)

Source Nègre, poterie

(Fig. : 2.)

Notes :

1a) Céramique vernissée ; longueur d’un élément : 0,70 m et Ø extérieur : 0,33 m fabriquée par Berger Cadet et Fils, à Bollène (Vaucluse), ca 1900 et utilisée dans la galerie de la Vieille source.
1b) Élément et son manchon.
1c) Céramique vernissée ; Élément comportant la signature du tuilier  (250 = Ø intérieur 0,25 m).
2) Un drain à manchon confectionné en filière, longueur de 0,39 m et 6,5 à 8,5 cm de diamètre, origine : Languedoc XIXe siècle (argile assez rosée) découvert au quartier de Sainte-Maïsse, Solliès-Pont. 

 
 

 

Observations préliminaires

Des raisons de santé m'ayant obligé en 1833 d'abandonner momentanément le barreau, j'acceptai les paisibles fonctions de juge de paix à Solliès-Pont mon pays natal, que je quittai en 1838 pour revenir à Toulon.
Pendant ces cinq années, je prenais vraiment plaisir à admirer le terroir de Solliès-Pont et de Solliès-Ville, mais surtout la riante vallée de Gapeau, dont j'étudiais le cours jusqu'à Belgentier. Toutes mes pensées en arrivaient à payer un respectueux tribut d'hommages à la profonde sagesse avec laquelle nos pères avaient su si bien utiliser ce modeste cours d'eau, au moyen de nombreuses écluses, faisant marcher de nombreuses usines, papeteries, moulins à blé, moulins à huile, moulins à plâtre, scieries, blanchisserie, et ce, en rendant toujours les eaux, soit à la rivière, soit à l'arrosage des terres. On a vanté bien souvent les systèmes d'irrigation pratiqués en Espagne, mais il est impossible, me disais-je, que l'on ait pu dans ce pays exploiter avec plus d'intelligence et d'utilité un modeste cours d'eau pareil au nôtre.
Ces études m'ont permis de rendre quelque service pour la conservation de cet ingénieux régime et cette habile répartition des eaux de Gapeau, en rédigeant rapidement, de mémoire, et en quelques heures, les observations et mémoire à M. le Préfet du Var, contre le quartier de Guiran, imprimé à Toulon en 1858 (E. Aurel, imp. lith.).
Une entreprise bien plus dangereuse menace aujourd'hui de bien plus grands bouleversements, cette sage répartition des eaux que j'ai toujours considéré comme un chef-d'œuvre de la sagesse et de la constance de nos pères : malgré l'âge avancé, je vais encore essayer de la défendre une dernière fois avec l'espérance que cette fois encore, pas plus qu'en 1858, le gouvernement ne permettra d'y porter la moindre atteinte, car ce serait une véritable profanation.

Casimir ARÈNE,
ancien avocat.

Mémoire, Arène Casimir 622 x 794.

M É M O I R E

pour

Les trois communes de Solliès-Pont, Solliès-Ville et la Farlède

contre

 Le sieur Brun, entrepreneur et la commune d'Hyères

 

Les intérêts agricoles et industriels et par suite la paix publique sont gravement menacés dans les trois communes de Solliès-Pont, Solliès-Ville et Solliès-Farlède, et même dans la commune d'Hyères.
Il s'agit de prévenir une immense perturbation ; à cet effet, il suffira, nous l'espérons, d'éclairer et de prémunir l'autorité supérieure contre des manoeuvres et des entreprises inqualifiables, d'autant plus dangereuses, que le succès, impossible pourtant selon nous, en amènerait à coup sûr la reproduction en bien d'autres lieux ; manœuvres et entreprises à la faveur desquelles le sieur Brun, de concert avec le sieur Nègre et appuyé cette fois sur la municipalité d'Hyères, voudraient nous enlever des eaux qui depuis des siècles contribuent à l'arrosage déjà si insuffisant de nos 411 hectares de terres arrosables, et à la marche de nos belles et nombreuses usines ; et en outre à l'arrosage de deux à trois cents hectares dans les terroirs de La Crau et de la commune d'Hyères.
Les eaux sont, en effet, de nos jours, un objet de convoitise universelle. Les possesseurs sont trop souvent menacés dans leur possession par la spéculation; le gouvernement, loin de faciliter ces déplacements et ces bouleversements, ne saurait procéder avec trop de réserve et de circonspection, lors, surtout que, comme dans l'espèce, les eaux convoitées reçoivent une destination d'utilité si générale, qu'il est radicalement impossible de les mieux utiliser.

Faits

 Le 12 fevrier 1839 une ordonnance royale autorisa M. Teissier à établir sur le cours de Gapeau près de Solliès-Toucas un pont et un barrage ou écluse pour, au moyen des eaux dérivées, mettre en jeu un moulin à blé, à charge de rendre les eaux à la rivière à 287 mètres 20 centimètres de distance du barrage. Pour apprécier le résultat de ces travaux sur le cours naturel des eaux de la rivière, il est nécessaire d'exposer brièvement quelques observations.

En remontant de l'usine Nègre, vers Belgentier, la vallée va toujours se resserrant, le Gapeau est à peu près un torrent à pente et avec des sinuosités très prononcées, aussi, sur un parcours d'environ 5 kilomètres, peut-on compter 8 barrages ou écluses plus ou moins élevés. Il faut remarquer que le cours des eaux attaque de préférence la rive gauche, où pour maintenir certains ouvrages et notamment la route départementale, il a fallu des murs de soutènement et de défense assez élevés ; les anciens lits comme les graviers et les terres d'alluvion se trouvent donc sur la rive droite où l'on voit aussi des masses de tufs poreux et crevassés, se laissant comme les graviers eux-mêmes facilement traverser par les eaux.
N'est-il pas certain que les sept barrages supérieurs à celui de M. Nègre, et celui-là aussi, ont dû nécessairement altérer profondément le débit des eaux de la rivière, que ces eaux ainsi violentées par les écluses et les nombreuses sinuosités ont dû au moins à chaque barrage s'extravaser en partie, traverser les masses de tuf, les graviers et les terrains d'alluvion déposés au fond de son ancien lit et sur les bords de son lit actuel, suivre souterrainement la pente de la vallée et revenir inférieurement au lit de la rivière, d'où ces nombreux barrages supérieurs les avaient extravasées.
On n'a pas oublié dans la contrée, qu'avant le barrage Nègre, peu en dessus, comme en dessous de son fond et sur plusieurs points, de nombreuses infiltrations revenaient à la rivière, et contribuaient puissamment à alimenter la première écluse (de la ferrage) et aussi la grande écluse dite de Messieurs.
Depuis la construction du barrage Nègre ces infiltrations ont disparu, mais les eaux revenaient à la rivière par le canal de fuite du nouveau moulin.
L'état des choses va complètement changer, M. Teissier fait construire son écluse et son pont et comme les crues avaient emporté son premier pont et sa première écluse, il dut, en les reconstruisant, creuser d'autant plus profondément leurs fondations, ainsi que celles de leurs épaulements que, par mesure de précaution, il dut prolonger très avant à travers les terres sur les deux rives.
Là ne se bornèrent pas les travaux, M. Teissier fit creuser transversalement à la vallée une profonde tranchée sur une longueur d'environ 80 à 90 mètres et dût nécessairement relier aux épaulements de son écluse les profondes fondations des murs de soutènement de cette tranchée.
Est-il besoin de se demander en l'état de tous ces travaux ce que pouvaient devenir les eaux provenant des extravasions produites par les 7 à 8 écluses supérieures existant comme nous l'avons dit sur un parcours d'environ cinq kilomètres, et ce que pouvaient devenir toutes les diverses infiltrations à travers les graviers, les tufs crevassés, etc. Toutes ces eaux furent arrêtées par le barrage, par les épaulements et par la longue et profonde tranchée transversale. Le cours des eaux souterraines de la rivière fut intercepté ; les eaux s'accumulèrent en amont de ces travaux et finirent enfin par se créer une nouvelle issue pour reprendre leur ancien cours et revenir à la rivière, non plus comme autrefois sur divers points, mais par le canal de fuite du moulin(1).
C'est ainsi que fut créée la prétendue source Nègre. Nous trouverons ci-après dans certaines clauses de l'acte du 2 mai 1870, par lequel le sieur Nègre a vendu sa prétendue source au sieur Brun, clauses dont nous transcrirons les termes littéraux, la confirmation de cette induction; pour réduire à zéro la prétendue source, il suffirait de pratiquer au dessus une tranchée pareille, toujours transversalement à la vallée, et à une profondeur suffisante il y a certitude, que l'on couperait et que l'on arrêterait toutes les eaux, et c'est ce que les trois communes intéressées ne manqueront pas de faire si, chose toutefois improbable, on leur en fait une nécessité, les propriétaires des jardins et des terres arrosables de La Crau et d'Hyères, joindraient sans doute leurs efforts aux nôtres pour réaliser ce résultat, et dans ce cas quel profit retirerait la ville d'Hyères de son aventureuse et énorme dépense ?
Poursuivons : M. Teissier, ruiné par la création de son usine, fut exproprié par M. Gautier, son créancier, qui s'en rendit adjudicataire et offrit peu à près de vendre à la commune de Solliés-Pont, au prix de trois mille francs, les eaux de cette prétendue source ; la municipalité, convaincue que ces eaux n'appartenaient pas à l'usine, mais à la rivière, et que M. Gautier n'en avait que l'usage déterminé par l'ordonnance royale précitée, refusa de les acheter. M. Gautier continua donc de rendre par le canal de fuite toutes les eaux à la rivière.
Quelque temps après M. Gautier revend l'usine à M. Nègre père, les choses restent en l'état ; devenu minotier après la mort de son père, M. Nègre, ne se contente pas du moulin acquis à bonnes conditions (M. Aubert de la Castille, nous a assuré, avoir refusé d'acheter de M. Gautier au prix de onze mille francs,) M. Nègre, disons-nous, exalte sa prétendue source, bat et fait battre la grosse caisse partout à l'effet d'en vendre les eaux : Toulon d'abord, renseigné sur la nature et la provenance de ces eaux reconnues de même nature que celles de Gapeau, refuse de les acheter. Le chemin de fer, après bien des tâtonnements, les refuse aussi ; enfin la commune de Solliès-Pont, dans l'intérêt de la paix publique, pour prévenir des conflits et des. procès dispendieux, se décide à mettre un terme à toutes ces agitations, car l'opinion vivement émue dans nos campagnes par suite des années de sécheresse que nous venions de traverser, et de l'extrême pénurie d'eau qui en était résulte, redoublait d'inquiétude, en apprenant de temps à autre que M. Nègre cherchait à vendre les eaux soit au chemin de fer, soit au sieur Brun et Maurel de la ville d'Hyères ; A l'effet donc de calmer, de rassurer toutes ces vives et profondes émotions, comme aussi pour prévenir des complications, des conflits, dispendieux devant l'autorité administrative et judiciaire, la commune de Solliès–Pont achète de M. Nègre toutes les eaux qui peuvent traverser ou naître sur son fond au prix de vingt mille francs. Le conseil municipal et les plus forts imposés sont convoqués pour délibérer sur un emprunt au crédit foncier de trente mille francs, dont vingt mille pour l'achat Nègre et dix mille pour couvrir un arriéré de pareille somme.
Dans une première réunion, les plus forts imposés trouvèrent l'emprunt de 30 mille francs exagéré, toutefois la délibération fut renvoyée à quinzaine on voulut sans doute pressentir l'opinion publique, qui plus émue et plus inquiète que jamais, manifesta le désir d'en finir une fois pour toutes, et de s'assurer des eaux d'une manière absolue et définitive ; l'emprunt de vingt mille francs seulement et l'achat des eaux, quelle que fut leur provenance, furent donc autorisés dans une seconde délibération.
Ici nous devons répondre à deux objections qui nous ont déjà été faites ; la première n'est pas fameuse : ces eaux litigieuses ne vous sont pas si nécessaires puisqu'on vous les a offertes et que vous les avez refusées, nous répondons : elles nous sont si nécessaires, si indispensables que nous les avons achetées et que nous les aurions payées, bien que nous soyons tous convaincus que ces eaux, loin d'être la propriété de M. Nègre, sont une dépendance de la rivière et comme telles, appartiennent aux usagers des trois communes ; et que la réunion des plus fort imposés n'avait fait, en achetant, qu'assurer la paix publique, prévenir des complications et consentir dans cette pensée un sacrifice accepté de la population.
Voici la seconde objection : elle détruit pour ainsi dire la première, puisque vous avez acheté les eaux, vous avez reconnu les droits et la propriété de M. Nègre sur ces eaux.
Les raisons qui ont déterminé ce marché sont brièvement exposées ci-dessus ; assurer avant tout l'arrosage quoique insuffisant de nos 411 hectares et des jardins de Solliès-Pont et rassurer les 630 propriétaires qui les possèdent, assurer aussi l'alimentation de nos fontaines, qui pendant les trois mois d'été, juillet, août et septembre, ne peuvent se passer des eaux souterraines bouleversées encore par les nouvelles fouilles de M. Négre ; sauvegarder la salubrité publique pour la population de Solliès-Pont si rudement éprouvée par le choléra de 1865. C'étaient là de puissantes considérations qui naturellement conseillaient l'espèce de transaction intervenue entre M. Nègre et la commune de Solliès-Pont, l'intérêt de la salubrité publique à lui seul aurait commandé le sacrifice. Gapeau, en effet, traverse la commune du nord au sud, son lit au nord et au sud est contenu par deux écluses, la nappe d'eau presque stagnante formée par la seconde écluse est bien au centre de l'habitation et reçoit les résidus des importantes tanneries Gence et Boyer, si on enlève les eaux de la rivière, il y aura donc au centre du pays un foyer d'infection. Il fallait donc, de manière ou d'autre, prévenir une si dangereuse éventualité, et moyennant le sacrifice de vingt mille francs tous ces grands intérêts étaient sauvegardés
Mais qu'arrive-t-il ? Dans l'intervalle des deux délibérations : Le sieur Brun arrive-t-il de Wuissons, son domicile (Seine-et-Loire), sur les brisées de la commune ? Non ! il envoie sa procuration au sieur Roux. M. Nègre est circonvenu et se résigne à vendre au sieur Roux, mandataire du sieur Brun, ces mêmes eaux qu'il a déjà vendues, par acte sous-seing privé à la commune de Solliès-Pont, et cela sans sommation ni mise en demeure, sans la moindre formalité, sans même prévenir le maire avec lequel M. Nègre a traité.
M. Nègre devait pourtant s'estimer très heureux d'obtenir vingt mille francs dans de telles conditions, mais les deux spéculateurs Roux et Brun lui ont offert dix mille francs de plus. L'acte passé, ils se hâtent de faire enregistrer et transcrire de manière que notre acte privé ne peut aujourd'hui leur être opposé.
M. Nègre était si peu assuré de ses droits sur les eaux qu'il vendait deux fois à deux acquéreurs différents, qu'il exige expressément dans le second acte que les sieurs Brun et Roux soient chargés à leurs périls et risques de tous les procès et sans doute des dommages-intérêts auxquels à tout événement M. Nègre ne pourrait échapper. Mais M. Nègre peut-il dormir tranquille et faire grand fond sur cette garantie et la solvabilité de l'acquéreur ? Nous examinerons bientôt l'acte du 2 mai 1870 constatant cette vente : M. Nègre ne viole-t-il pas la condition essentielle imposée à sa concession de rendre les eaux à la rivière ? Cette concession ne doit-elle pas être révoquée par le pouvoir souverain qui l'a octroyée ? Nous faisons toutes réserves expresses de nous pourvoir à cet effet devant l'autorité compétente.
Le spéculateur et consorts se mettent immédiatement à l'œuvre, ils tentent de former une compagnie pour l'exploitation de l'entreprise, publient des prospectus imprimés et le tarif de leurs concessions futures aux particuliers, font publier le tout à son de trompe dans plusieurs communes, ils parviennent à trouver quelques rares abonnés, voilà tout.
Mais comme les administrations précédentes de la ville d'Hyères, qui ne le cédaient en rien en intelligence et en dévouement à l'administration actuelle, avaient toujours repoussé l'extravagant et ruineux projet de conduire à Hyères ces eaux qui y arrivent déjà par le canal, comme nous le prouverons jusqu'à l'évidence, projet considéré par la partie saine et intelligente, nous pourrions dire par la majorité de la population, comme inutile, aventureux, ruineux, sans résultat profitable, les spéculateurs reportèrent leurs espérances vers des temps meilleurs. Un peu de chantage n'en continua pas moins, et quelques articles sur Hyères , résidence d'hiver , tentèrent de faire mousser un peu l'affaire.
Ces temps leur paraissant venus, ils ont remis l'affaire sur le chantier, appuyés cette fois sur la majorité de deux voix dans le conseil municipal (présents 18 conseillers : 10 voix pour, 8 voix contre). Ils vont solliciter un décret d'utilité publique, et l'autorisation d'exécuter les travaux nécessaires par voie d'expropriation aux termes de l'article 2 de la loi du 3 mai 1841. Examinons ce projet :
Nous sommes ici obligés de faire une rapide incursion dans les affaires de la ville d'Hyères, mais seulement, bien entendu, dans le but d'éclairer le gouvernement protecteur né des grands intérêts généraux, et ce, concurremment avec de nombreux et très intelligents notables de cette ville.
Le sieur Brun, acquéreur de la prétendue source, est domicilié à Wuissons (Seine-et-Oise), c'est de Paris qu'il envoie sa procuration notariée au sieur Roux pour traiter avec le sieur Nègre, l'acte du 2 mai 1870, dans lequel Roux agit comme mandataire de Brun, porte que le prix total de 30 mille francs sera payé au plus tard dans les trois mois, à dater du 2 mai 1870, et nous trouvons dans l'acte du 22 août 1870, que le sieur Roux n'a payé que cinq mille francs. Le prix a-t-il été soldé ? nous l'ignorons, mais le fait mérite un sérieux examen. Les 25 mille francs restant seront-ils payés des deniers de la commune ?
La commission, du conseil municipal, chargée d'étudier l'affaire, a dû préalablement demander communication de l'acte de vente de la prétendue source ; elle y aura sans doute lu cette clause extraordinaire, insolite de la part d'un vendeur qui, en règle générale, doit toujours garantir l'objet qu'il vend, lors surtout qu'il vend à une commune.
« La vente faite par M. Nègre, est-il dit dans l'acte de vente du 2 mai 1870, est consentie sans garantie de sa part autre que celle des droits qu'il a sur la source en vertu des titres de propriété sus-énoncés, droits qu'ils transmet simplement à l'acquéreur sans garantie du débit actuel et futur de ladite source, M. Nègre n'entendant être recherché en rien par suite n'importe quel prétexte et par qui que ce soit, M Roux obligeant son mandant à relever et garantir M. Nègre de tout recours, frais et déboursés. »
Et plus bas : « M. Nègre s'interdit en outre de démolir son écluse ».
Que signifient ces deux clauses ? Le bout de l'oreille ne perce-t-il pas ici ? Ne pourrait-on pas dire que c'est la nimia precautio du jurisconsulte romain ? Elles prouvent évidemment que l'un ne veut pas garantir les eaux qu'il a vendues, et qui ne sont- autres que les eaux de Gapeau que l'on pourra facilement couper et ramener à la rivière, et que celui qui les a achetées défend qu'on démolisse l'écluse Nègre qui contribue à emprisonner les eaux latérales de la rivière et à en créer une prétendue source, voilà les deux innocents créateurs de cette prétendue source, ces deux clauses nous serviront puissamment à obtenir la démolition de l'écluse Nègre.
M. Brun, domicilié à Wuissons (Seine-et-Oise), n'est pas à coup sûr un riche capitaliste ; au terme convenu, expiré, il n'a pu payer qu'un acompte de cinq mille francs ; voudrait-il embrouiller sa spéculation dans une société anonyme et mettre en circulation de nombreuses actions pour le mieux de ses intérêts et pour mieux bouleverser la contrée ? Nous serions tentés de le croire, car une voix dans le conseil municipal a recommandé de ne pas effrayer les capitalistes et le sieur Brun n'est sans doute pas à Paris seulement pour faire une procuration notariée au sieur Roux.
Nous verrions alors se renouveler l'affaire du Bagas et M. Brun, ni la ville d'Hyères n'ignorent que malgré tout, le décret d'utilité publique n'est pas si facile à obtenir quand i1 s'agit seulement de déplacer des eaux parfaitement utilisées.
Et c'est pour des eaux si incertaines, auxquelles vendeur et acquéreur n'ont pas même confiance, que la ville d'Hyères s'imposerait les sacrifices énormes dont nous allons parler.
Nous savons d'abord qu'il a été question de douze mille francs à titre d'encouragement, de 45 mille francs pour prix de la source et frais d'acte, d'une subvention annuelle de 60 mille francs pendant cinquante ans, moyennant quoi, Brun s'obligerait à conduire à Solliès-Farlède toutes les eaux Nègre, soit environ 12 mille mètres cubes d'eau par 24 heures, dont Brun en réserve pour lui 8 mille mètres à la Farlède, parce qu'il s'appelle Brun, et 4 mille qu'il devra rendre à Hyères à la place Saint-Paul, dont encore 500 mètres pour les besoins municipaux et 3,700 pour être vendus aux arrosants de concert avec la commune.

Si les finances de la ville d'Hyères étaient dans un état florissant, on concevrait à peine qu'en l'état des deux clauses de la vente précitée et de l'incertitude sur la nature et la propriété des eaux, elle put s'aventurer, coopérer et prêter la main à une entreprise pareille, car M. Nègre sait très bien, et tous les ingénieurs qui ont visité les points d'émergence des eaux ont constaté qu'elles peuvent être coupées, et elles le seraient même avant la fin des travaux, quelle serait dans ce cas la garantie offerte parle sieur Brun pour assurer la fidèle exécution de ses obligations ?
Nulle part nous n'avons entendu parler du moindre cautionnement de sa part, en numéraire ou en hypothèques sur des immeubles sûrs et solvables.
L'eau venant à manquer, les trois quarts de la dépense réalisée seraient une perte sèche pour la ville d'Hyères.
Même dans le cas où l'entreprise s'annoncerait sous des auspices plus favorables, conviendrait-il à cette ville, vu ses embarras financiers, de s'y aventurer ?
L'énorme subvention annuelle de 60 mille francs pendant 50 ans resterait à peu près toute entière à sa charge, car elle ne peut guère compter sur le débit aux particuliers d'eau, qu'ils trouveront nécessairement trop chères, on a beau calculer, ce sera toujours de 2 à 3 millions qui sortiront partiellement et annuellement, il est vrai, de la bourse des habitants, ne faudra-t-il pas ensuite canaliser et créer les conduites pour les fontaines projetées,

Source Nègre, souterrain

 La canalisation d’une galerie de captage dite le « Vallon de Vallauris » est faite en maçonnerie à pierres sèches et d’une conduite d’amenée en tuyau de poterie. Postérieurement à l’exécution première on a substitué sur une certaine partie de son parcours la fonte à la poterie. (AD 83, Solliès-Pont, février 1903.)

construire, édifier ces fontaines et toutes ces énormes dépenses, lorsque la ville a déjà un passif de 533 mille francs, que son dernier budget se solde par un déficit de 29 mille francs, que les habitants payent déjà 42 centimes additionnels, et sont tellement accablés, écrasés de taxes et de surtaxes d'octroi que diverses agglomérations ne négligeront rien pour se séparer de la commune et faire cause à part, et elles auront parfaitement raison.

Lorsqu'en outre enfin, pour la translation urgente, inévitable de son cimetière, et les avenues et autres travaux accessoires aux gares des chemins de fer que la loi met à la charge des communes, cette même ville aura à faire encore et sous peu des dépenses très considérables.construire, édifier ces fontaines et toutes ces énormes dépenses, lorsque la ville a déjà un passif de 533 mille francs, que son dernier budget se solde par un déficit de 29 mille francs, que les habitants payent déjà 42 centimes additionnels, et sont tellement accablés, écrasés de taxes et de surtaxes d'octroi que diverses agglomérations ne négligeront rien pour se séparer de la commune et faire cause à part, et elles auront parfaitement raison.

Vraiment, l'imagination la plus intrépide recule forcément devant une telle entreprise, lorsque, au point de vue seulement des intérêts de la ville d'Hyères, il est certain :
1 — Qu'elle annihilerait l'arrosage des terres de La Crau, des beaux jardins et des terres arrosables de la ville d'Hyères.
2 — Qu'elle annihilerait aussi, du moins pendant l'été, la force motrice des beaux moulins à blé de cette ville qui en a racheté si sagement, mais si chèrement la banalité.
3 — Lorsqu'enfin Nègre vendeur n'a pas voulu garantir le débit de la source et pour cause, et qu'au dire de tous les ingénieurs qui ont visité les lieux, la prétendue source peut être coupée au moyen d'une simple tranchée en amont du fond Nègre, sur les terres que la commission générale des eaux de Solliés-Pont et de Solliès-Ville a achetées depuis près de 15 ans.
(1) Marseille, renonçant aux flots troubles et terreux de la Durance, a le projet de réunir les eaux épurées des infiltrations latérales de cette rivière pour les amener à Marseille au lieu et place des eaux actuelles, et il s'agit ici de quatre mètres cubes d'eau par seconde…
Source Nègre, Tuyau en fonte

Dans une note de 1903 aux AD 83 il est écrit : La canalisation dite de la « Vieille Source » est formée de tuyaux en poterie ou en fonte, suivant que la conduite est placée en galerie ou en tranchée. (AD 83, Solliès-Pont, février 1903.)

Fontaines de la ville d'Hyères

 Examinons un instant les ressources en eaux potables que possède actuellement la ville d'Hyères, eaux qui ont suffi jusqu'ici aux besoins de la population, et demandons-nous si dans tous les cas, un simple appoint ou supplément aux eaux actuelles, que l'on pourrait se procurer à fort peu de frais, ne suffirait pas et largement aux besoins réels de la population.

Hyères possède actuellement 5 fontaines alimentées par la mère source dite l’Ermitage :
1 — celle des Palmiers ;
2 — du Portalet ;
3 — de la Gavotte ;
4 — de la place de la Rade et
5 — du Bon Puits.
N'oublions pas le trou de Peyron si rapprochée de la ville, source qui débite l'hiver un volume de 5 à 6 centimètres de diamètres et l'été de 3 à 4 centimètres.
Il y a en outre le Bon Puits qui, de mémoire d'homme, n'a jamais manqué d'eau, le puits qui se trouve dans l'avenue du repos au-dessus du cimetière et qui pendant l'été est très utile à ce quartier.
Dans la vallée derrière le château, la source appelée l’Umine fournit l'eau aux habitants de la haute-ville pendant les années de grande sécheresse, ou si, pour cause de réparation, la roue élévatoire ne fonctionne pas.
Enfin, en eau non potable, mais très utile à tous autres besoins domestiques, le canal en fournit surabondamment, et s'il était bien entretenu, si surtout on faisait à l'écluse établie au confluent du Petit Réal et de Gapeau les réparations dont elle a un besoin urgent, on pourrait sans inconvénient en dévier un fort volume au dessus de l'usine à Gaz, l'amener à la roue élévatoire, la rendre aisément potable au moyen d'un filtre peu compliqué, ces eaux n'étant que des eaux déjà filtrées à travers nos terres arrosables, et faire couler ainsi de nombreuses fontaines.
Telles sont d'après des renseignements que nous devons croire exacts les ressources actuelles de la ville d'Hyères.
Admettons cependant qu'elles sont insuffisantes, bien que la population s'en soit contentée jusqu'ici : faut-il pour combler cette insuffisance, amener à Hyères par monts et par vaux une rivière toute entière ? Un simple appoint ou supplément en eaux potables que l'on peut rendre très abondant, et comparativement à très peu de frais, ne suffirait-il pas largement aux vrais besoins de la population ? et ce, sans déplacer des eaux qui reçoivent même à Hyères une destination d'utilité bien plus générale, mais en y employant des eaux qui ne servent à rien.
Qu'il nous soit permis à cet égard, toujours dans l'unique but d'éclairer le gouvernement de donner quelques indications.
La montagne de Coudon est très riche en eaux ; il a suffi à la commune de la Garde, de creuser une modeste tranchée un peu au dessus du fond Morizot pour amener dans cette commune l'eau qui alimente une fontaine à 4 tuyaux et qui pourrait en fournir à six tuyaux.
Sur un autre point peu éloigné du premier, M. Sanson, par ce moyen, a créé une assez belle fontaine au château de son épouse.
Des fouilles autrement importantes et mieux dirigées par des « hommes de l'art » fourniraient des eaux plus que suffisantes à ces nouvelles fontaines ; n'en voit-on pas de nombreuses aux campagnes qui longent précisément la route d'Hyères à Toulon, à Château-Redon appartenant à M. Madon avocat, au château des hoirs Morizot, et à d'autres campagnes inférieures, n'y a-t-il pas des eaux jallissantes, à un niveau bien suffisamment élevé et sans que la main de l'homme y ait trop contribué.
Dans la plaine au dessus comme au dessous de Solliès-Farlède, n'y a-t-il pas une nappe d'eau considérable ? La Fontone, dont le nom indique la présence de l'eau, est encore sur les bords de la route départementale de La Farlède à Hyères. Les fontaines de Jérusalem, la Font des Fabres, ne prouvent-elles pas la présence de l'eau partout dans cette plaine dont l'inclinaison assez prononcée se dirige précisément vers Hyères ; n'est-on pas sûr de trouver sur ces divers points l'eau à une altitude suffisante pour alimenter les nouvelles fontaines projetées.
Signalons aussi la belle source de M. Thomas au terroir de La Garde qui arrose actuellement 4 à 5 hectares, et qui ne coûterait certainement pas trop cher.
Enfin sur des points plus rapprochés, au quartier du Gré, propriété Riondet, se trouve l'ancien lit de Gapeau très riche en eau, et la source Trou de Peyron dont nous avons déjà parlé, on pourrait facilement, au moyen d'une roue élévatoire, créer et alimenter de nouvelles fontaines qui ne coûteraient pas le quart de l'entreprise Brun.
Devons-nous signaler aussi les sources de Flayosc qui suffisent à faire marcher sur un point inférieur un moulin à blé :
Là il y aurait surabondance d'eau, mais l'inconvénient d'altérer le débit du canal actuel de la ville d'Hyères, mais comme d'ailleurs le projet présente à un degré bien plus élevé ce même inconvénient, bien mieux vaudrait encore conduire à Hyères les eaux de Flayosc, on économiserait au moins la moitié du parcours et plus de la moitié de la dépense, les propriétaires pour conserver leur arrosage, loin d'être récalcitrans se montreraient bons princes et très conciliants.
La ville d'Hyères peut donc se procurer facilement l'appoint ou supplément en eaux potables largement suffisantes aux besoins de sa population, sans aller quérir ces eaux si incertaines à 15 kilomètres, avec des frais énormes et sans bouleverser la vallée de Gapeau depuis Solliès-Toucas jusqu'à l'extrémité méridionale des terres arrosables de la commune d'Hyères.
Jetons un rapide coup d'oeil sur le côté dommageable de la spéculation Brun, et du projet des fontaines d'Hyènes.
Voici la série des dommages et des résultats désastreux que l'entreprise entraînerait inévitablement :
1 — Les fontaines publiques de Solliès-Pont, en possession d'une partie des eaux convoitées n'en débiteraient plus pendant l'été la quantité nécessaire aux besoins de la population ;
2 — Le lit de Gapeau serait à peu près mis à sec sur une assez vaste étendue et notamment sur la partie qui est au centre de la ville de Solliès-Pont que la rivière traverse du nord au sud ; le peu d'eau qui resterait, contenue au nord par l'écluse Ventre, au sud par l'écluse Sochet, entre lesquelles sont rejetés les résidus des importantes tanneries Gence et Boyer, formerait au centre même de la ville un véritable foyer pestilentiel, dangereux au premier chef pour la santé d'une population d'environ trois mille habitants : malheur à cette population si ce projet venait à se réaliser même partiellement. — Le choléra foudroyant de 1865 n'est-il pas encore présent à la mémoire de tous ? En 48 heures, 58 personnes foudroyées, mortalité d'une année, en huit jours mortalité de deux années ; le second jour, arrivée du Sous-Préfet annonçant l'envoi de trois médecins de première classe de la marine ; le troisième jour, arrivée de dix forçats pour l'enterrement des cadavres entassés au cimetière : notons que, dès le second jour, il ne restait pas à Solliés plus de 200 habitants ; tout le reste, 19 conseillers sur 21 avaient fui épouvantés(2).
Veut-on connaître les causes qui ont rendu ce choléra si exceptionnellement meurtrier ? Le rapport de la commission médicale présidée par le Sous-Préfet, celui rédigé par les trois médecins de première classe de la marine s'accordent à affirmer que ces causes sont : la rivière, le peu d'eau qui s'y trouve pendant l'été, et à cette époque néfaste le cours de Gapeau n'avait pas subi la moindre altération ! Quels désastres l'habitation n'aurait-elle pas à redouter si la spéculation Brun et les projets de la ville d'Hyères venaient à se réaliser ? Poursuivons :
3 — Les eaux convoitées contribuent puissamment au fonctionnement de douze belles usines, dont la force motrice serait à peu près annihilée pendant les basses eaux, et nos six beaux moulins à blé, ont pourtant rendu et peuvent rendre encore de grands services pour les approvisionnements de farine aux armées de terre et de mer, comme lors des guerres de Crimée et d'Italie ; tout comme les six moulins à huile sont indispensables aux besoins agricoles de la contrée ;
4 — Les eaux convoitées contribuent en outre dans des territoires extrêmement morcelés, et ce depuis des siècles, à l'arrosage de nos 411 hectares de prairies, des jardins de Solliès, et notons même qu'en l'état, toutes ces terres arrosables souffrent énormément pendant les basses eaux ; consultez leurs 630  propriétaires, ils vous diront tous, que la moindre réduction de leurs eaux serait ruineuse pour eux ;
5 — Enfin, ces eaux convoitées vont mettre en jeu les beaux moulins à farine de la ville d'Hyères, et contribuent aussi à l'arrosage d'environ deux à 300 hectares aux terroirs de la Crau et d'Hyères et notamment à l'arrosage des beaux jardins de cette ville. Le projet Brun, s'il était réalisé, mettrait à peu près à sec pendant l'été le grand canal actuel, comme nous le prouverons séparément ci-après.
À côté de cette série abrégée de résultats désastreux pour nos trois communes, pour la Crau, et surtout pour la commune d'Hyères elle-même qu'entraînerait le déplacement des eaux convoitées, car ici, comme pour le Ragas, il ne s'agit que d'un déplacement d'eaux ; placez par la pensée le projet fantaisiste d'aller chercher à 15  kilomètres environ et avec une dépense énorme, des eaux qui arrivent déjà à Hyères depuis des siècles.
Et ce, pour donner à cette ville un appoint ou supplément en eaux potables qu'elle peut si aisément et à bien moins de frais se procurer sur dix points différents.
(2)  Je tiens ces renseignements, en quelque sorte officiels, de M. Dollieule, lieutenant de vaisseau en retraite, dont je connaissais la belle conduite et le courageux dévouement dans ces circonstances calamiteuses : simple conseiller municipal, il sut prendre résolument en mains les rênes de l'administration, et au moyen d'un emprunt contracté personnellement, de concert avec un autre citoyen, organiser et assurer tous les services publics.

Utilité publique

Marseille dérive de la Durance 4 mètres cubes d'eau par seconde, sans causer préjudice à personne ;
Cannes dérive de la Siagne 2 mètres cubes d'eau par seconde, mais son entreprise n'a que légèrement altéré la force motrice de quelques usines inférieures pendant les basses eaux seulement, leurs propriétaires qui avaient d'abord fait quelque opposition au projet s'en désistèrent.
L'on sait les immenses avantages que Marseille et même Cannes ont retirés de ces beaux volumes d'eau, amenés dans leur sein et sur leur territoire, on conçoit facilement que dans de telles conditions, l'utilité publique ait été décrétée d'autant plus indiscutable que ces travaux si utiles ne portaient préjudice à personne.
Le spéculateur Brun et la ville d'Hyères se trouvent-ils dans des conditions analogues ? II s'agit de conduire à Hyères, non 4 mètres cubes, soit 4 mille litres par seconde comme Marseille, non 2 mètres cubes, soit 2 mille litres par seconde comme Cannes, mais 46 litres par seconde, soit 4 000 mètres cubes par 24 heures : sur ces 4 000 mètres cubes, 500 mètres seulement seront affectés au service spécial des besoins municipaux. Les 3,700 mètres cubes restant rentrent dans la spéculation Brun. En résumé, d'après le projet, on veut dériver 12 à 13 mille mètres cubes du cours de Gapeau, pour en consacrer 300 seulement aux besoins municipaux ; c'est environ le 1/40 des eaux dérivées. Les 39/40 restant constituent donc la spéculation ; ce qui réduit l'eau employée aux besoins municipaux à environ 3 litres 1/2 par seconde, ajoutons que dans le projet on ne tient nul compte des eaux de toute nature que la ville possède actuellement.
Et c'est pour un si triste résultat que le sieur Brun et consorts, et la ville d'Hyères elle-même viendraient bouleverser toute la contrée, toute la vallée de Gapeau depuis Solliès-Toucas !
Et malgré ses embarras financiers signalés cl-dessus, la ville prêterait la main à une telle entreprise, et oserait s'aventurer dans les dépenses énormes que son exécution entraînerait bien au-dessus, comme d'habitude, des plans et devis sans doute dressés à cet effet
Le faible avantage d'avoir à Hyères quelques fontaines de plus, fontaines que l'on peut facilement trouver ailleurs et à bien moins de frais, est-il proportionné à la dépense, ruineuse surtout en l'état de ses finances, de ses 42 centimes additionnels, de ses taxes et surtaxes d'octroi et enfin aux perturbations, aux dommages si considérables de toute nature que nous venons de signaler ?
La négative nous parait si évidente, que nous en sommes convaincus, la ville d'Hyères renoncera à son funeste projet, que dans tous les cas, l'autorité supérieure lui refusera son concours et l'autorisation nécessaire, et que le Conseil municipal et les plus forts imposés, mieux renseignés, refuseraient au besoin de s'y associer.
C'est par l'état comparatif des avantages et des dommages résultant d'une entreprise qu'on peut élucider la question d'utilité publique.
Ici, la somme des dommages est immense, l'utilité insignifiante, presque nulle ; que l'on se rappèle Nègre, vendeur, refusant de garantir le débit actuel et futur de sa prétendue source, et l'acquéreur lui interdisant de détruire son barrage ou écluse, que tous les ingénieurs ont affirmé que la prétendue source peut être coupée, que ces eaux sont identiques à celles de Gapeau, et tous seront plus qu'étonnés que la faible majorité de deux voix ait entraîné la ville d'Hyères dans une entreprise si aventureuse et si dispendieuse tout à la fois, majorité formée peut-être de quelques nouveaux débarqués qui, ne possédant rien à Hyères, n'auront guère à contribuer à la dépense.
Les privilèges sont de droit étroit, il faut bien se garder d'en étendre la portée ; le privilèges d'arracher à un père de famille malgré sa volonté une simple parcelle de son champ, est un privilège exorbitant contre le droit de propriété que le législateur a entouré de tant de garanties, ce privilège exorbitant, l'autorité ne doit l'accorder que dans des cas exceptionnels, et pour de grandes considérations d'intérêt public. Le savant jurisconsulte Pufendorfs, livre 8, chapitre 5, § 7, a résumé en quelques mots les principes de la matière.
« Il ne faut pourtant pas, dit-il, donner une trop grande étendue aux cas d'utilité publique, il faut en tempérer les privilèges AUTANT qu'il est possible par les règles de l'équité. »
À la faveur de ces principes et des considérations ci-dessus, nous avons la ferme. espérance que le gouvernement n'accordera pas aux entrepreneurs le décret d'utilité publique, que les eaux convoitées continueront, comme par le passé, d'être consacrées au mouvement de nombreuses usines, et à l'arrosage des terres des cinq communes qui en jouissent depuis des siècles ; car l'œuvre projetée, loin d'être une œuvre d'utilité publique, serait une œuvre de perturbation générale et de dommages publics.

 

Toulon, le 24 avril 1872

Casimir ARÈNE
Ancien Avocat, Propriétaire aux terroirs de Solliès-Pont et de Solliès-Ville.
Ancien président de la Commission des eaux de Solliès-Pont.