Un cimetière romain

Un cimetière romain
près de Solliès-Pont

De nombreuses tombes viennent d’être découvertes dans le terroir (S.-E.) de Solliès-Pont...
... Enfin, depuis deux mois, un véritable ossuaire s’est révélé sous l’instrument du cultivateur à Beaulieu (propriété Grué)...
... Rien cependant ne mérite d’être plus signalé à l’attention des archéologues que le poste de Beaulieu.
Beaulieu est distant de Solliès de cinq kilomètres. Les solides fondements des anciennes bâtisses ont souvent fatigué la pioche ou le marteau. Les souvenirs que les Romains y ont laissés, sont nombreux et marquants. On nous a montré une cuiller concave en bronze d’un travail exquis, munie d’un manche assez long, orné d’une frise légère1. L’emplacement est superbe, la plaine est ravissante, traversée par le limpide courant du petit Réal, et entourée de collines boisées.
C’est à la distance de 750 mètres, dans la direction de l’est à l’ouest, qu’un défrichement opéré dans la propriété Julien Raynaud, a mis au jour un cimetière d’une dimension de 18 mètres de longueur sur dix de largeur. L’enclos est bordé de chênes du côté de l’est. Les exigences de la culture ont dû faire abattre tout autour les autres amentacées dont on voit çà et là quelques opiniâtres rejetons. Rien ne prouve que les autres parties, Nord, nord-est, n’aient été exploitées en des temps plus reculés. Les conjectures ont foisonné comme toujours, et, parodiant le poète, chacun de se dire :
 « Ici le fier Othon signalait son audace,
« Et là Vitellius rangeait ses bataillons.

Il en est qui, pour accréditer les fameux combats qu’ils rêvent, s’autorisent de l’étymologie la plus hasardée de Beaulieu, c’est-à-dire belli locus2. Nous ne partageons nullement cette manière de voir, parce qu’aucun débris martial ne vient la confirmer, et les soldats tombent par milliers dans une rencontre plutôt que par vingtaine ou que par trentaine.
Selon M. Gensollen, dont l’érudition à nos yeux n’est pas dépourvue de poids, Beaulieu, dans le Moyen Âge, aurait pris le nom de bellus locus, joli site ; un document de cette époque porte : Molendinum Belli-loci : Moulin de Beaulieu.
Bellus locus nous paraît se ressentir de la basse latinité. Mais qu’importe le nom ? Ce que l’on ne saurait révoquer en doute, c’est que les Romains y ont séjourné en assez grand nombre pour nécessiter la présence d’un prêtre voué à l’exercice de leur culte. Et, si l’on se souvient, comme nous l’avons prouvé (voir notre opuscule sur l’Origine de Toulon) que les Romains étaient fidèles à la coutume d’inhumer leurs morts assez loin de leur demeure fixe, nous n’éprouverons aucune surprise de la découverte que l’on vient de faire dans la bastide Julien à 750 mètres de Beaulieu3.
Dans notre cimetière en question, à l’heure où nous écrivons, 35 tombes, occupant la moitié de l’espace indiqué, ont arrêté la pioche. Les squelettes exhumés sont plus nombreux. Les uns étaient rangés sur triple rang : peut-être appartenaient-ils à la même famille ; les autres gisaient les uns à côté des autres ; presque tous ont leur lit funèbre formé de briques longues 54 cm, et larges 38 cm, recouvertes d’autres briques redressées et inclinées les unes contre les autres. Très peu sont dépourvus de cet appareil. Quelques tombes se trouvent même bouleversées et montrent à peine quelques fragments de fémur et d’iléon. Est-ce l’effet d’un effondrement anciennement pratiqué ? Est-ce celui d’un effondrement de terrain ? Nous adoptons le premier sentiment, car, il n’est pas croyable qu’une propriété, exploitée depuis 200 ans par la même famille, de père en fils, ait été laissée constamment en friche. Les nombreuses monnaies que l’on y a trouvées à 30 centimètres de la surface, portant la date du 18e siècle et même du 19e, prouveraient le contraire.

La plupart des tombes4 sont découvertes à la profondeur de 1,25 mètre. Ici, en général, l’excavation pour la plantation de la vigne ne dépasse pas la limite de 75 cm Mais parfois l’instrument a pu aller au-delà de la volonté du cultivateur, et occasionner un dérangement dans la pose des briques.
Jusqu'à la 28e tombe rien de bien saillant ne s’est offert aux yeux du travailleur, pas même la monnaie caronienne : ce qui montrerait que se ne seraient là que de simples soldats en station ou des colons, ensevelis sans autre luxe que celui d’un vase ayant à peu près la forme d’une sympule ; et encore ce vase d’argile grossière, plus ou moins cuite, n’accompagne pas toujours la misérable dépouille. En effet, sur 35 tombes, il ne s’est trouvé que six petits vases. Malheureusement, la récolte et la trituration des olives ont empêché de poursuivre le défoncement.
Qui sait si quelque surprise nous est réservée !
La 28e tombe promettait une piquante découverte, un renseignement précieux. À côté d’un squelette passablement conservé, les spectateurs aperçurent une plaque de marbre écornée avec une épigraphe de sept lignes.
Soumise à notre examen, nous l’avons trouvé de marbre fin dit statuaire de Carrare. Sa dimension est de 28  cmsur 3 cm d’épaisseur. Les caractères en sont grossièrement tracés avec la pointe d’un stylet et offrant l’étrange composition d’un Sphinx5. Elle nous a rappelé la célèbre inscription celtique trouvée à Alise, où sont sculptés, entre autres, ces mots :
IEVRV. VCVETE. SOSN. CELICNOSE., mots qui sont restés inintelligibles jusqu'à ce jour. Elle diffère pourtant de la nôtre en ce sens que, si l’acception des mots celtes échappe à l’archéologue, celui-ci n’éprouve aucun embarras à les lire, tandis que la pierre tumulaire de Beaulieu le sens et les mots, tout est insaisissable. Et, avant que nous la reproduisions et en abordions audacieusement l’explication, nous ne saurions nous dispenser d’émettre quelques observations préliminaires : elles témoigneront de nos premières impressions et des rapports qu’il nous a paru possible d’établir au premier vu...
...Nous devons, à nos lecteurs encore un aveu : nous n’avons aucune prétention à l’infaillibilité, et l’arrogance d’auteur messied à tout écrivain qui travaille à la recherche de la vérité.
Nous reconnaissons nous-même l’impuissance ou nous avons été de nous accouder sur un critérium tant soit peu solide. Notre interprétation donc est toute arbitraire ; et, si nous nous hasardons à la placer ici, c’est dans l’espoir qu’elle soulèvera des critiques d’où jaillira la lumière.

1 - Nous opinons que cette grande cuiller était destinée à prendre des parfums pour les jeter dans le foyer appelé ara, acerra ou arcula. Nous aurions sans doute plus d’un objet précieux à enregistrer, si les Religieux de Saint-Victor et les chevaliers de Malte n’étaient pas passés par là ; ce serait un chapitre plein d’intérêt à ajouter, si nous ne craignions de dépasser les limites que nous prescrit l’objet de cette notice.
2 - Ils ne se doutent pas que belli locus, pour proelii locus ne serait qu’un gros barbarisme.
3 - Dans la propriété Gensollen le prétendu bourg ou mansion est à plus de 200 mètres loin du petit cimetière, près de la grande route de Solliès à Toulon, propriété Fournery.
4 - La tombe contre laquelle était posée l’inscription dont nous allons nous entretenir, était placée entre deux autres, et la dernière se trouvait à la profondeur de 1,75 m du sol.
5 - N’oublions pas de dire que le coin qui faisait défaut à la plaque, avait glissé au fond des trois cercueils. Sa séparation paraît dater de longtemps, la partie écornée étant incrustée de terre durcie.

Plaque romaine gravée.

Notre interprétation(1) :

Marcus ATILius RUFus / IC Iacet Imperante
HELIO gabalo / Pontifex / AUgustalis In / Suo
Ministerio Omnibus Optime Usus / Officiis /
ULtimo / Omnibus / Unice / Carus /
SABInis / Natus / Longe A Patria / Quievit / I
DIBUS Maii AN
NO / 2° /

Traduction :

Marcus Atilius Rufus repose ici / sous l’empire
d’Héliogabale / Pontife Augustal / Dans son
Ministère il remplit parfaitement bien ses fonctions.
Enfin particulièrement aimé de tous
Né chez les Sabins, il mourut loin de sa patrie
Les Ides de mai, l’an 11 / de l’empire.

D. ROSSI,1
Ancien directeur du Propagateur du Var, membre
des principales Académies de France et de
l’Étranger, etc.                        
Gaudebourg (près la Farlède), 10 décembre 1871.

1 -Rossi D., Un cimetière romain près de Solliès-Pont (Var), dans Bull. Draguignan, 7, 2e sem. 1869, p. 401-422, extrait du Bulletin de la Société d’Études Scientifiques et Archéologiques de la ville de Draguignan, Draguignan, 1872. Tiré à part, 24 p.

Tombes romaines

CIMETIÈRE ROMAIN PRÈS DE BEAULIEU
SOLLIÈS-PONT - VAR

TOMBES TROUVÉES À LA PROPRIÉTÉ RAYNAUD

Dires de Victor Raynaud (fils de Julien Raynaud) né en février 1849, lequel a lui-même défoncé le terrain et trouvé les tombes, dires recueillis le 30 septembre 1888 par Frédéric Dollieule.
« Le défoncement de ce champ a commencé en 1862 et s’est continué jusqu’en 1874. J’ai commencé à trouver des tombes dès 1862 ; j’ai trouvé les dernières en 1873.
J’ai trouvé de 25 à 30 tombes. Toutes ces tombes étaient recouvertes d’une couche de terre végétale de 40 à 50 centimètres environ. Dans cette couche de terre végétale j’ai trouvé une certaine quantité de monnaies de ce siècle ou du siècle précédent indiquant que le sol avait été défoncé à cette profondeur ; profondeur habituelle des défoncements qui pour la vigne n’atteignaient jamais autrefois 75 centimètres ».

À l’exception de trois tombes trouvées superposées, toutes les autres tombes se trouvaient isolées et immédiatement sous la couche de terre végétale de 40 à 50 centimètres. Les tombes étaient formées d’un lit de tuiles romaines à rebords sur lequel s’appuyait un toit de tuiles recouvrant le défunt. Les parois triangulaires extrêmes du haut et du bas de la couche funèbre étaient formées avec d’autres briques. Toute cette couche funèbre était noyée dans une couche dure de mortier contenant une forte quantité de chaux (FR. contre les parois de l’inscription se trouve aujourd’hui encore adhérent un mortier qui paraît être un mélange de chaux, d’argile rouge ou plutôt de poterie pilée, de tuile broyée).
On s’explique que les tuiles du fond aient seules pu être sauvées. Les tuiles des parois tout adhérentes les unes aux autres se sont brisées à l’ouverture des tombes. M. Raynaud a recueilli environ 50 tuiles intactes, toutes du fond des tombes.

Les trois tombes superposées l’étaient comme l’indique la figure ci-contre :
La tombe A était effondrée ; on n’y a trouvé qu’un cadavre sans médaille ni vase. La tombe B qui était intacte contenait un corps portant une médaille fruste coupée en deux, marquée des lettres G L B et deux petits vases et en outre (voir figure D) l’inscription : Mater etc. ; cette inscription placée en b était aux pieds du mort contre la brique a laquelle fermait la paroi inférieure ; le coté gravé était tourné vers le mort.

Tombes romaines

La tombe C, intacte, contenait un cadavre avec une médaille dans la bouche laquelle était coupée par le milieu et ne semblait pas être l’autre moitié de la précédente, plus deux vases ».
Toutes les tombes trouvées dans la propriété Raynaud, quoique placées sans ordre, sans disposition parallèle, étaient toutes, absolument toutes creusées dans le sens est-ouest : les pieds étaient toujours au levant et la tête au couchant.
Il n’a été trouvé que des corps d’adultes (ou âgés) ; pas de corps d’enfants. Il est faux qu’il ait été trouvé dans les tombes des assiettes ou des lacrymatoires en verre.
Les seuls objets trouvés, en dehors de l’inscription sont de petits vases en poterie, tous identiques, d’une facture grossière semblables au modèle ci-dessous, à peu près du moins.
(F R : j’en ai fait moi-même le dessin d’après les indications de M. Raynaud qui les désigne sous le nom d’espèces de toupins). Ces vases ont environ dix centimètres de haut et huit de diamètre en largeur. Les anses sont remplacées par deux creux ou dépressions A et B faits dans la poterie avec un coup de pouce. Dans chaque tombe, on a toujours trouvé deux vases l’un à droite l’autre à gauche. Presque tous ces vases ont été brisés et ont été pris par M. Rossi. sept à huit, peut-être dix.

Les deux médailles trouvées dans les tombes superposées B et C sont à peu près du module ci-contre. M. Rossi a cru y reconnaître des monnaies de Galba. On y lisait les lettres capitales G L B. Les tuiles à rebords trouvées dans les tombes sont toutes semblables elles portent la même marque de fabrication faite avec deux ou trois doigts à l’une des extrémités : elles mesurent 50 centimètres sur 37 à 38.
Les tuiles trouvées à Beaulieu même sont de plus grande dimension et mesurent _,__ sur _,__, elles portent une marque différente. M. Raynaud affirme que la tombe à trois rangs contenant l’inscription a été trouvée par lui le 26 février 1872. La tombe à inscription n’a été ouverte par personne avant lui : l’inscription était bien pour la tombe B et ne devait pas être enchâssée dans un monument.

Les reproductions lithographiques de M. Rossi et de M. Gazan sont l’une et l’autre en partie inexacte. Le Q de Qunto a la queue marquée à peu près comme je l’ai dessinée à la retouche. La gravure a été faite au ciseau : hauteur : 29 cm, largeur : 29 à 30 cm, épaisseur : 3 cm, poids total : 6,7 kg, y compris le fragment qui à lui seul pèse 860 g. La face portant l’inscription est en grande partie recouverte d’une très légère couche qui semble du mortier et explique les rugosités. Sur la face postérieure et en haut se trouve un trou creusé de main d’homme destiné vraisemblablement à recevoir un crampon. Cette face et les bords portent la trace du mortier qui devait retenir la plaque de marbre enchâssée dans l’édicule.
Les raies tracées à la règle pour l’inscription sont très visibles, irrégulières.

Nord

: Limite de la propriété Raynaud
: Limite de la surface défoncée
: Limite de la surface occupée par les tombes
: Tombe à inscription

Frédéric Dollieule,
cahier Q Q, p. 149-160, 207-211.
Pascal Yves Grué, 
juillet 2001

10* (8145) À La Jonquière (fig. 923, n° 10). Tombes de l’époque romaine tardive : D. Rossi, 1869a ; 1869b ; - B.A.C.-T.H/, III, 5, 1872, p. 532 ; - L. Rénier, 1872, p. 486-489 ; - A. Gazan, 1872-1873, p. 5363 ; - G. de Bonstetten, 1873, p. 34 ; - A. Blanchet et alii, 1932, p. 32, n° 57-58 (même site mentionné deux fois) et document manuscrit de M. Dollieule communiqué par Mme Autran. En bordure du ruisseau de la Jonquière, les défonçages agricoles ont entraîné, en 1862, la destruction d’une trentaine de tombes orientées est-ouest, à coffrages de tuiles en bâtière, comportant parfois des offrandes. Les auteurs signalent un nombre plus important de squelettes que de tombes, ce qui doit être interprété comme l’indice de l’existence de tombes en pleine terre ou en cercueil de bois. Le site a été totalement excavé depuis la date de découverte. Une inscription funéraire sur marbre blanc de 28 x 28 x 3 cm en lettres cursives (C.I.L., XII, n° 319) est signalée (fig. 925) en réemploi dans le coffrage d’une tombe (où à l’extérieur de celle-ci ?) : Mater fecit / filio pi(e)ntis(s)i / mo Qu(i)nto I / ulio Felici / Sabini m fecit / dibus ma / nibus. L. Rénier (1872) rectifie la lecture de D. Rossi (1869b) et lit Sabinil(l)a. On peut proposer la traduction suivante : « Sa mère a élevé (cette stèle) pour son fils très dévoué Quintus Julius Felix. Sabinilla ( ? ) a dédié (cette stèle) aux Dieux Mânes. » Mobilier : balsamaires en verre.

CAG 83/2, commune 130, p. 743.

Provost MichelCarte archéologique de la Gaule, Pré-inventaire archéologique, 83/1 et 83/2, éd. Académie des inscriptions et belles-lettres, Paris, 1999.

BIBLIOGRAPHIE

Gazan A., Un cimetière romain près de Solliès-Pont (Var), Bulletin de la société d’études de Draguignan, tome 9, années 1872-1873, p. 53-63.
Gazan A., Réfutation de la brochure de M. Rossi intitulée : Le Sphinx de Solliès-Pont..., bulletin de la société d’études scientifiques et archéologiques de Draguignan, tome X, années 1874-1875, p. 51-67.
Maurel P.Histoire de Solliès : La vie tourmentée d’une commune à travers les âges, S.N.I.T., 1936.
Provost MichelCarte archéologique de la Gaule, Pré-inventaire archéologique, 83/1 et 83/2, édition Académie des inscriptions et belles-lettres, Paris, 1999.
Rossi D.Un cimetière romain près de Solliès-Pont (Var),
extrait du Bulletin de la Société d’Études Scientifiques et Archéologiques de Draguignan, Draguignan, 1872, tiré à part, 24 p.
Rossi D.Le Sphinx de Solliès-Pont (Var)
Réponse à Monsieur le colonel Gazan et à Monsieur Léon Renier, Paris, 1873, tiré à part, 12 p. et pl.
Rossi D.Le Sphinx de Solliès-Pont et le défi à Monsieur le colonel Gazan,
Draguignan, 1874, tiré à part, 15 p.

Pascal Yves Grué,
juillet 2001